RMC SPORT : « Éric Girard montre la voie à suivre au Portel »

C’est une rencontre charnière dans la course au maintien en Jeep Élite. Ce vendredi, pour le compte de la 19ème journée, Antibes reçoit le Portel. Après deux saisons réussies, Le Portel connaît un exercice compliqué. Le club nordiste peut s’appuyer sur la détermination et l’envie de son coach emblématique, Éric Girard. Un coach qui a connu et gagné de nombreux combats depuis quelques années.
 
« Pour moi, le basket, c’est ma vie. À cause de cette maladie, ça m’a traversé l’esprit de me demander si la vie méritait de continuer pour moi. » Les mots sont forts. Les termes choisis sont pesés. Rien n’est laissé au hasard. Quand Éric Girard s’exprime, c’est avec bienveillance, générosité et un certain recul sur la vie. Des vies, il en a déjà mené plusieurs. À commencer par la plus importante, celle d’entraîneur de basket de haut-niveau. Champion de France en 2005 avec Strasbourg, double vainqueur de la Coupe de France avec Cholet (1998 et 1999), il a même entraîné dans la plus prestigieuse des compétitions européennes, l’Euroleague. « Pour un garçon comme moi, avec une mère institutrice, cela peut paraître atypique, mais je n’ai pas fait de grandes études, car j’ai toujours été accaparé par le basket. Cela m’a permis de me lancer dans une carrière de joueur modeste mais tellement enrichissante. Par contre, j’ai toujours eu le goût de la communication. » Cette passion pour s’exprimer va pourtant changer la vie d’Éric Girard. En décembre 2011, le natif de Jalais (Maine-et-Loire) consulte pour une extinction de voix. Le diagnostic est irrévocable : cancer de la corde vocale gauche. Une maladie qui touche normalement les fumeurs. Un comble pour celui qui n’a pas touché une cigarette de sa vie. Quarante séances de radiothérapie plus tard, le cancer semble vaincu « à 95% » selon le corps médical. Pourtant, neuf mois plus tard, en 2012, la maladie récidive. « On m’a annoncé qu’il ne me restait plus que quatre mois à vivre. Pour être franc, oui, je me suis posé l’instant de quelques secondes une multitude de questions », explique-t-il avec sincérité. « Pourtant, cette pensée a été aussi fugace que le retour à la raison et l’envie de se battre a tout de suite repris le dessus », rajoute-t-il. Éric Girard décide de se faire opérer en 2013. L’opération consiste en une laryngectomie totale, soit une ablation du larynx. Cette intervention a une conséquence importante : Éric Girard devient aphone en 2013.
 

Le haut-niveau comme principal moteur de rétablissement

Meneur de jeu durant sa carrière professionnelle, Éric Girard était un gestionnaire, un passeur, un commandant. Ce caractère, il l’a gardé lorsqu’il est devenu entraîneur. Il a gardé ce côté directif, tout en haussant la voix. Capable de piquer de grosses colères sur les terrains ou de donner des consignes très musclées à l’entraînement, le finaliste de la Semaine des As avec le Havre doit se réinventer. « Si j’avais une chance de revenir en me faisant opérer, je me devais de la prendre. À partir de ce moment-là, les choses ont été très vites. J’ai vraiment travaillé d’arrache-pied pour réapprendre à parler le plus vite possible. Quand les médecins me donnaient une date de reprise, je le prenais comme un challenge personnel. En tant que coach, je suis le premier à essayer de réduire l’indisponibilité de mes joueurs. Donc, c’était une sorte de défi pour moi. Il était juste primordiale et important que je le fasse pour l’équipe. Elle n’allait pas attendre que je revienne comme Monsieur-Tout-Le-Monde. » Pour réussir ces objectifs, il travaille avec un orthophoniste, Eric Leclercq. « C’est vraiment une personne exceptionnelle. Il m’a redonné confiance. On a travaillé petit à petit et lorsque les résultats sont apparus, j’étais vraiment satisfait. Il m’a vraiment aidé dans mon rétablissement. » Un processus rapide qui lui a permis de retrouver les terrains pour le plus grand bonheur de toute une ville et de tous ses joueurs. Arrivé au Portel en 2011 alors que le club était encore en Pro B, Benoît Mangin, est aujourd’hui le capitaine de l’équipe nordiste. « Si je devais définir mon coach en un mot, je dirais que c’est un homme combatif. Après toutes les épreuves qu’il a vécues, aussi bien professionnelles que personnelles, il n’a jamais baissé les bras. »

Une véritable terre de basket et de soutien

Lorsque la récidive est détectée, le président de l’ESSM Le Portel, Yann Rivoal, prend une décision forte. Il prolonge le contrat de son entraîneur de deux années supplémentaires. Une preuve de la confiance qui règne concernant les capacités d’Éric Girard. « Le Président, le staff, le public, les habitants de la ville ont cru en moi, malgré cette opération. Il y a vraiment un respect mutuel et ils ont su me témoigner une attention toute particulière. Je ne l’oublierais jamais », précise Éric Girard. « Comme tous les coachs, il est soutenu pas ses supporters. C’est en grande partie grâce à lui si le club en est là aujourd’hui. Donc, évidement les supporters le respectent beaucoup et ont témoigné de leur soutien tout au long de ses combats », complète Benoît Mangin. L’entraîneur est un homme connu et reconnu dans le basket français, y compris dans la Ligue des Hauts-de-France. Avec 73 950 licenciés inscrits lors de la saison 2018-2019, la Ligue représente 11,8% du total de la Fédération Française de Basket-Ball (626 950). Les joueurs professionnels du Portel rentrent dans ce pourcentage, eux qui ont dû apprendre à travailler d’une nouvelle façon.

Se réinventer pour continuer d’exister

Éric Girard ne peut plus entraîner comme avant. Il a dû adapter son coaching. Il peut aujourd’hui s’exprimer grâce à une prothèse phonatoire placée dans sa gorge. D’une voix rauque, il appuie sur cet appareil pour continuer de discuter. À l’entraînement, un casque sans fil est relié à des enceintes pour amplifier sa voix. « Il a fallu que je me réadapte. Quand on est entraîneur, peu importe le style, nous sommes obligés d’élever la voix et de parler, parler beaucoup même. L’adaptation a été très rapide. Au final, ce handicap n’en est pas vraiment un sur le terrain. Je me devais d’être performant rapidement. Un regard, un geste, une attitude peuvent valoir dix fois une explication verbale. » Lors des rencontres officielles, il travaille beaucoup avec ses assistants, notamment Jacky Périgois à qui il donne ses consignes. Éric Girard a pourtant dû abandonner ses cravates pour diriger son équipe lors des différentes rencontres. « Comme je parle moins fort, les joueurs sont obligés d’être plus concentrés. Ils ne sont pas impressionnés, ils sont parfois surpris de voir quelqu’un comme moi coacher au haut-niveau. » Benoît Mangin acquiesce: « Dès qu’il prend la parole lors des entraînements, nous sommes tous à l’écoute. Avec sa prothèse, ce n’est pas forcément évident, mais tout le monde joue le jeu. Il fait également beaucoup de choses pour s’adapter et se faire comprendre de tous. » Malgré la saison compliquée, le message a l’air de passer, comme en témoigne la prolongation de cinq ans signée cet été par l’homme âgé de 54 ans.

S’adapter ? Oui. Mais pas changer sa personnalité

« Il a affronté tellement d’épreuves ces dernières années qu’on ne peut être que impressionné par sa persévérance. De telles épreuves vous offrent un nouveau regard sur la vie, puis je pense surtout qu’il a pu revoir le diamètre de son cercle d’amis et de proches », explique Raphaël Desroses, joueur du Limoges CSP durant quatre saisons dont deux sous les ordres d’Éric Girard. « Je suis originaire d’un petit village. L’histoire de ma vie, effectivement, c’est le combat, l’espérance, la force de croire. Je n’avais sans doute pas le talent de faire une plus belle carrière professionnelle de joueur. Mais quand je me retourne sur mon parcours, je vois que j’ai toujours dû me battre pour confirmer. Et aujourd’hui, avec tout ce qui m’est arrivé, je me rends compte que les maladies, les accidents peuvent mettre fin à une carrière très rapidement. » Philosophe et lucide sur ses capacités, Éric Girard sait que le plus dur est passé. Mais pour combien de temps ? « Je ne sais pas si on arrive à vaincre totalement la maladie. J’ai eu une alerte forte il y a un mois et demi avec un problème au testicule. Heureusement, les résultats des analyses étaient négatifs. Au final, j’ai quand même dû subir une ablation d’un testicule. Comme je l’ai dit, j’ai perdu un peu de poids à cause de cette opération », raconte en rigolant l’entraîneur, élu coach de l’année en 2005. Car Éric Girard est un épicurien. Raphaël Desroses se souvient effectivement « d’une personne ouverte et agréable en dehors du terrain et d’exigeante et rigoureuse une fois sur le parquet. » « Bien entendu que toutes ces opérations ont modifié mon approche humaine par rapport à la vie et par rapport à mon métier. Je reste bien entendu toujours intransigeant avec mes joueurs et mon staff. Mais parfois, je me dis qu’il y a plus important qu’un match de basket », analyse Éric Girard. La rencontre de vendredi à Antibes reste quand même l’une des plus importantes de la saison pour le club du Pas-de-Calais.

« Ma plus belle bataille, c’est d’avoir donné de l’espoir »

Avec trois victoires pour Antibes contre six pour le Portel, la rencontre « est importante mais pas décisive » selon Éric Girard. Meneur de jeu de l’ESSM, Benoît Mangin confirme que « Le Portel est dans une situation complexe. Personne ne veut décevoir les supporters et les dirigeants. » « Pour l’instant, avec notre budget et nos
structures, nous sommes à notre place. On se bat tous ensemble, on essaye de trouver des solutions. Nous sommes dans un mini-championnat à 4 avec Antibes, Cholet et Fos Provence. C’est une compétition longue, fatigante et éprouvante, mais si on est solidaires, on peut y arriver. Bien sûr que c’est difficile à vivre après nos deux saisons précédentes », conclut Éric Girard. Lors des deux derniers exercices, Le Portel a été quart-de-finaliste des playoffs puis a fini à la onzième place. Des résultats qui prennent la forme d’exploits, mais qui ne sont pas la plus belle des récompenses pour le coach. « J’ai donné le droit de donner de l’espoir et ça, c’est ma plus belle bataille. Il y a des personnes qui ont les mêmes problèmes que moi. On peut vivre avec une prothèse tout à fait normalement. Je continue de donner des conférences dans des entreprises. J’ai eu beaucoup de chance, il faut le reconnaître. Je le dis dans mon livre écrit avec Pierre Ballester (ndlr : « Je n’ai qu’une parole », édition de La Martinière). Je reçois beaucoup de messages et de courriers et ça me fait plaisir. Mais ça montre surtout que mon histoire a donné de l’optimisme à beaucoup de personnes. » Cet espoir est bien plus important aux yeux d’Eric Girard que ses 132 victoires en Jeep Élite depuis 2004. Mais pour passer une deuxième partie de saison moins stressante, l’entraîneur du Portel ne serait pas compte d’augmenter ce chiffre d’une unité. Et ceci, dès vendredi, à Antibes.
Geoffrey Charpille